• SYRIE Mercredi12 juin 2013
     

    L’exécution barbare à Alep condamnée

    Baudouin Loos

    Un adolescent accusé de blasphème par des rebelles djihadistes a été tué de deux balles sous les yeux de ses parents. Dans ce pays en guerre, l’absence de loi et d’ordre est comblée par l’extrémisme religieux, et les radicaux se considèrent comme des shérifs du Far West

    Une nouvelle scène aux relents barbares est venue flétrir dimanche l’image de l’opposition syrienne. Mohammad Qataa, 14 ou 15 ans, un vendeur ambulant de café, a été exécuté de manière sommaire par des militants djihadistes en pleine rue à Alep, sous les yeux de ses parents.

    La «faute» du jeune homme? Selon les versions, il aurait soit proféré cette phrase devant les militants islamistes, «Même si le prophète Mohammad descend du paradis, je ne deviendrai pas croyant», soit une autre, «Même si le Prophète, la paix soit sur Lui, descend sur terre maintenant, je ne donnerai mon café à personne sauf si on me paie». En tout cas, une phrase considérée comme blasphématoire par les djihadistes.

    Mohammad Qataa a été emmené par deux ou trois hommes portant de longues barbes qui parlaient l’arabe classique sans l’accent local, avant qu’ils ne reviennent une heure plus tard avec lui, apparemment fouetté, pour l’abattre de deux balles dans la tête. D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basé en Grande-Bretagne, les bourreaux ont, avant de tirer, proféré leur sentence: «Quiconque blasphème ne fût-ce qu’une fois sera puni de cette façon.»

    «Crime contre l’humanité»

    Les parents de la victime ne cachaient pas leur consternation. «C’était un enfant! Comment ont-ils pu le tuer, s’est exclamée sa mère, selon une vidéo amateur diffusée par l’OSDH. Ils l’ont tué sous mes yeux! Que Dieu le venge. […] Nous ne sommes d’aucun camp. Nous ne faisons qu’essayer de nous en tirer. Pourquoi avez-vous tué mon fils? Est-ce un terroriste?»

    L’OSDH pointe un doigt accu­sateur en direction du Front al-Nosra, une formation djihadiste liée à Al-Qaida: «L’Observatoire ne peut ignorer ces crimes qui ne font que servir les ennemis de la révolution et les ennemis de l’humanité.» La Coalition de l’opposition a également condamné l’acte, qualifié de «crime contre l’humanité», alors que les comités de coordination locale évoquaient «un crime haineux contraire à toutes les religions, à l’éthique et au droit international», et exigeaient «une enquête, un jugement et une juste punition». Mardi, une manifestation a eu lieu à Alep pour demander que les assassins soient traduits en justice.

    Cette affaire n’est cependant qu’un nouveau jalon dans une liste déjà longue d’exactions, de dérives sanglantes, dont certains militants de groupes armés rebelles se sont rendus coupables ces derniers mois. Surtout visés: les djihadistes comme ceux du Front al-Nosra (même si leur implication dans le cas de Mohammad Qataa reste à prouver). Ces derniers ont notamment exécuté en mai plusieurs prisonniers, des militaires de l’armée, dans la région de Raqqa, dans le nord syrien qu’ils contrôlent. Il y eut aussi le cas célèbre de ce chef de brigade rebelle séditieuse qui faisait mine de manger le cœur d’un soldat mort. Il est à noter que ces méthodes ont le plus souvent suscité de vives réactions d’indignation et de protestation de la part de la population et d’autres groupes rebelles.

    Ces dérives ne surprennent pas tout le monde. «Le problème fondamental en Syrie, compte tenu de la guerre», estime ainsi le Suédois Aron Lund, spécialiste reconnu des groupes armés syriens interrogé mardi par l’AFP, «est qu’il n’existe plus de loi ni d’ordre. L’extrémisme religieux comble alors cette absence et les radicaux se considèrent comme des shérifs au Far West. Du côté du régime, le pouvoir est concentré entre les mains du clan Assad. Par contre, pour les rebelles, c’est plus compliqué car de nombreux groupes sont en concurrence pour obtenir un territoire, et ces groupes ont différentes visions sur la gestion future de la Syrie.»

    Une analyse qui n’est guère contestable. Et qui ne présage rien de bon pour la Syrie de demain. 

    source: http://www.letemps.ch 


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  • SYRIE  Pourquoi une révolution non-violente est devenue un bain de sang

    Pourquoi l’opposition a-t-elle pris la décision d’abandonner la non-violence pour prendre les armes, alors que les révolutions qui ont réussi à chasser les dictatures ont majoritairement été pacifiques?
    • Newsweek |
    • Janine di Giovanni |
    • 15 mars 2013
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     civils ensanglantés Syrie 2012
     
    En 2011, les despotes Hosni Moubarak, Zine el-Abidine Ben Ali et Mouammar Kadhafi ont été déchus. A l’époque, même Bachar el Assad semblait sur le point de rejoindre le club des perdants.
    Pourtant, si l’on en juge par l’entretien exclusif réalisé par le Sunday Times avec Bachar [le 3 mars 2013] – ainsi que l’appellent ses détracteurs en Syrie – ce dernier n’a toujours pas l’air disposé à prendre le chemin de la sortie.
    Est-il fou ? Bachar n’en croit rien. Il estime que le comportement des gouvernements occidentaux qui aident l’opposition syrienne, est digne de tyrans. Les commentaires récents du [secrétaire d'Etat américain] John Kerry sur la Syrie n’ont fait que renforcer sa détermination, lui qui refuse de quitter Damas sans recours à la force. 

    Le meurtre d’innocents, les raids aériens à Alep, les attaques de journalistes : tout cela, pour le dictateur syrien, ne sont qu’exagérations. Ce ne sont que des mensonges relayés par la presse favorable aux rebelles et par l’Occident, qui n’a aucun droit de venir se mêler des affaires intérieures de la Syrie.
    La violence de plus en plus incontrôlable qui règne en Syrie, non seulement entre Bachar et les rebelles, mais aussi entre plusieurs factions de rebelles, me rappelle un poème de William Yeats intitulé “Easter, 1916” dans lequel on peut lire : “A terrible beauty is born” [une beauté terrible est née].
    "Je pensais qu’on pourrait renverser Bachar en rassemblant le peuple”

    Des méthodes non-violentes auraient-elles suffit à renverser Bachar ? C’est ce qui s’est passé en Serbie. Srđa Popović était l’un des leaders de la résistance serbe, OTPOR, qui a renversé Slobodan Milošević en 2000. Rien ne m’a autant impressionnée que la persévérance obstinée de ses collègues et lui, qui étaient déterminés à se débarrasser d’un assassin qui avait plongé leur pays dans cinq guerres sanglantes. 
    Onze ans plus tard, voir certains militants tunisiens, géorgiens et égyptiens utiliser la non-violence pour obtenir un changement de régime – une partie d’entre eux avaient été formés par Srđa Popović il y a longtemps – était tout aussi impressionnant. 
    Puis ce fut le tour de la Syrie. Pourquoi l’opposition a-t-elle pris la décision, à un moment décisif, d’abandonner la non-violence pour prendre les armes ? Etait-ce un acte désespéré ? Certains militants, qui avaient participé aux premières manifestations à Homs mais qui ont fui lorsque le conflit est devenu sanglant, ont eu le sentiment d’être privé de l’occasion de sauver leur pays. “Je ne voulais pas d’arme, m’a dit l’un d’entre eux. Je pensais qu’on pourrait renverser Bachar en rassemblant le peuple.”
    La clé est le pouvoir du peuple

    Les militants de la révolution tunisienne s’y sont pris autrement. Ils se sont servis d’Internet pour démanteler le régime de Ben Ali : ils ont piraté les sites web des ministères et les ont fermés. En Egypte, les militants ont organisé la chute de Moubarak à l’avance en s’inspirant des méthodes de Srđa Popović. C’est le gourou de la non-violence, Gene Sharp, qui est à l’origine de ces techniques. Il encourage le théâtre de rue, la création de réseaux sociaux et la résistance sans faire appel aux armes. Dans le monde entier, des militants téléchargent secrètement les écrits de Gene Sharp sur Internet pour tenter d’appliquer des méthodes qui éviteront à leurs pays de nouveaux bains de sang et qui apporteront la démocratie.
    Le fait que la Syrie ait pris le chemin de la violence implacable et interminable est une tragédie. Selon Gene Sharp, venir à bout des dictateurs et changer la société passe par l’établissement d’une stratégie et d’une méthodologie, auxquelles il faut se tenir – et il faut également avoir la population de son côté. La clé est le pouvoir du peuple. Le mouvement d’opposition à la guerre du Vietnam a échoué à de nombreux égards car passer son temps à brûler le drapeau américain n’avait aucune chance de rallier la population à sa cause. Occupy Wall Street était trop désorganisé et romantique.
    Dans le contexte issu du Printemps arabe, le pire qui puisse arriver est une évolution du conflit syrien similaire aux guerres de Bosnie et d’Irak. En 1993, Sarajevo a peu à peu été contaminée par les luttes intestines entre différentes factions des musulmans bosniaques, mais personne (moi y compris) n’a voulu écrire à ce sujet à l’époque. Après l’invasion de l’Irak, les idéologies ont divisé la population plutôt que de la rassembler face à ses oppresseurs. 

    Un pays qui ressemble à la Bosnie

    Je ne m’inquiète plus seulement d’assister à une longue guerre d’attrition entre un bastion alaouite [la communauté du Président syrien] sur la côte syrienne, soutenu par la Russie, l’Iran et le Hezbollah, et le reste du pays. Le plus alarmant, c’est que le camp de l’opposition lui-même risque d’imploser et d’engendrer diverses factions et guerres pour contrôler la Syrie et les zones au-delà de ses frontières. 

    Quand je vois une guerre, je ne pense pas aux stratégies militaires. Je vois le conflit au niveau local : comment se répercute-t-il sur les familles, les écoles, les hôpitaux ? Je pense aux voies d’approvisionnement et aux réservoirs d’eau, je me demande comment la population réussira à passer l’hiver sans électricité et sans antibiotiques. Je pense au fait que le tissu ethnique qui existe en Syrie – qui me rappelle la Bosnie, au sens où les personnes ne se qualifient plus de Syriens mais de Druzes, Shiites, Sunnites, alouites ou Chrétiens – sera détruit à jamais.
    Malgré les critiques endurées par le Printemps arabe, je reste convaincue que la démocratie fonctionnera. Il faut des années pour insuffler le changement. Il faut du temps pour installer une véritable démocratie. La violence y fait obstacle et il est extrêmement troublant que même les militants syriens soient maintenant divisés entre ceux qui sont partis lorsque les armes sont devenues monnaie courante et ceux qui sont restés.
    Note :Janine di Giovanni est journaliste et membre du think-tank américain Council on Foreign Relations.

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    Ce que révèle le décompte sinistre des morts syriens

    Le Monde.fr | 30.05.2013 à 13h48 • Mis à jour le 15.06.2013 à 11h02

    Par Maxime Vaudano

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    Deux ans après le début du conflit syrien, le bilan humain, terrible, s'élève à près de 100 000 morts. Une estimation imprécise que ne viennent étayer que deux sources crédibles : l'ONU et l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Cette ONG – installée à Londres et animée par un militant syrien en exil à l'aide de sources médicales et militaires – tient le compte, jour après jour, des "martyrs" du combat contre le régime de Bachar Al-Assad.

    Lire : Oussama Suleiman, le comptable de l'hécatombe syrienne

    Son site Internet, largement utilisé par les médias occidentaux faute de sources d'information alternatives, dénombre à ce jour 68 434 victimes du côté de l'opposition et des journalistes en 799 jours de conflit – soit plus de 85 par jour. Un chiffre proche des 61 892 "martyrs" répertoriés par le réseau de militants antirégime du Centre de documentation des violations, mais qui passe sous silence les pertes des forces loyales au régime ou étrangères, comme le Hezbollah.

    Ce choix méthodologique explique les divergences de ses bilans avec ceux de l'ONU, qui prennent en compte les pertes dans les deux camps. Une estimation générale de 94 000 victimes rendue publique à la mi-mai par l'OSDH tend toutefois à se rapprocher des chiffres des Nations unies (70 000 morts en décembre) et àconfirmer l'accélération du processus macabre.

     Nombre de mortsL'ONU et l'OSDH sur des ordres de grandeur similaires 

    Comme les graphes ne sortent pas correctement, je donne ici les chiffres saillants: les victimes tuées ont augmenté de façon exponentielle à partir de mars 2011, reflétant l'étendue du conflit et l'intensité des combats, ainsi pour l'ONU, il y avait 2.200 morts en Aout 2011, puis 5000 morts cumulés en Décembre 2011, 9.000 en Mars 2012, puis 20.000 morts en Octobre 2012 (après l'echec de la mission Annan, absence de cessez-le-feu en Avril, déterioration de la situation à Homs puis l'ouverture du front d'Alep en juillet), 40.000 morts de plus sont alors recencés en 3 mois (60.000 morts en Janvier 2013), 70.000 morts en Février, et plus de 90.000 morts fin Mai 2013.

    voici le lien du monde.fr pour suivre la mise à jour régulière des graphes:

    http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/30/ce-que-revele-le-decompte-sinistre-des-morts-syriens_3419875_3218.

    Sources : presse et OSDH

     

     

    FEMMES ET MILITAIRES : LES NOUVELLES VICTIMES

    Quasiment absentes de la base de données de l'OSDH jusqu'à février 2012, les femmes représentent aujourd'hui 10 % du total des victimes, soit un demi-millier de "martyres" par mois. Une évolution qui traduit la radicalisation générale du conflit et s'explique notamment par la recrudescence des massacres de civils.

     

     

     

    L'explosion du nombre de morts s'est également faite au détriment des militaires, catégorie dans laquelle l'OSDH regroupe les rebelles armés et les militaires ayant fait défection, mais pas les forces loyales à Bachar Al-Assad. C'est au cours des douze derniers mois que l'écrasante majorité des 10 000 victimes répertoriées dans cette catégorie ont trouvé la mort, traduisant une intensification des combats. 

     

     

    DAMAS ET ALEP PREMIÈRES TOUCHÉES

    La précision des données fournies par l'OSDH permet de visualiser l'évolution du nombre d'opposants morts dans chacune des quatorze provinces syriennes. Il apparaît ainsi nettement qu'après une concentration des combats autour de Homs, la double offensive contre Alep et Damas à l'été 2012 a durablement modifié les lignes de front du conflit. La majorité des morts sont désormais enregistrés dans la région capitale de Damas-Rif Dimashq et la zone d'Alep-Idlib, au nord-ouest.


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  •  Ligne de front à Alep

    Cette question est un élément essentiel de toutes les réligions, et elle met inévitablement chaque humain face à sa conscience et devrait nous amener à modifier notre attitude vis-à-vis de son frère au sens strict, mais également les autres êtres humains qui sont aussi nos frères. Et quand les gens se retrouvent dans une situation de guerre, c'est justement à cette question que les combatants doivent répondre à chaque fois qu'ils sont confrontés à l'Adversaire, au lieu de se laisser aveugler par la haine et la vengeance...

    La violence qui est au centre de la guerre, amène les hommes à se débarasser progressivement de leurs scrupules, de leur amour fraternel remplacé par des coeurs cruels et dominés par la peur!

    Voici des extraits d'une reflexion sur la violence dû à l'inégalité et qui débouche sur un crime: c'est l'histoire de Cain et d'Abel analysée par une diacre suisse, Natalie Henchoz:

     Ces deux frères vont devenir rivaux le jour l'un des deux fera l'expérience de l'inégalité. Dieu reconnaît en effet le sacrifice d'Abel, et pas celui de Caïn. Comment les frères se sont-ils rendus compte de cette réaction divine? Le texte ne le dit pas. On ne sait même pas si Abel s'en est aperçu. Comme souvent, celui qui subit l'inégalité y est plus sensible que l'autre. Le texte reste aussi silencieux sur ce qui a motivé le choix partial de Dieu. On a souvent cherché à noircir Caïn, en postulant par exemple que Caïn aurait offert un sacrifice de moindre qualité, ou encore que Dieu aurait privilégié Abel parce qu'Ève n'aurait eu d'yeux que pour Caïn. Le narrateur laisse cependant un blanc qu'il nous faut accepter et nous rendre à l'évidence : il n'y a pas de raison logique à la préférence divine. Cette préférence trouve son seul fondement dans l'arbitraire divin qui est soulignée dans le livre de l'Exode (chap. 33, ver. 19) : « J'accorde ma bienveillance à qui je l'accorde, je fais miséricorde à qui je fais miséricorde ».

         Derrière cet arbitraire divin se cache une expérience humaine quotidienne : la vie n'est pas juste, elle est toujours imprévisible et elle est faite d'inégalités qui ne sont pas toujours logiques et explicables. Ce récit ne nous donne aucune réponse quant au pourquoi de cette injustice : elle est. et nous devons vivre avec. Même si cela nous révolte.

         Caïn fait l'expérience de l'inégalité et il réagit de manière forte : la colère bouillonne en lui. Pourtant, si Dieu s'est détourné de son sacrifice, il ne le rejette pas pour autant. Il lui parle, il l'exhorte à ne pas se soumettre au péché. Le terme « péché » apparaît pour la toute première fois dans la Bible ! C'est significatif ! Le « péché originel » n'est pas celui de l'histoire d'Adam et Ève, à savoir la transgression de l'interdit divin. Le premier péché, c'est de laisser libre cours à la violence !!!

         Dieu en appelle à la responsabilité de Caïn, l'encourageant à ne pas s'abandonner à la violence, mais Caïn n'arrive pas à gérer cette colère qui monte en lui. Il essaye pourtant de parler à son frère. Le texte ne nous transmet pas ce qu'ils se disent, mais quoiqu'il en soit, puisque le meurtre a lieu juste après, nous pouvons en conclure que la communication n'a pas passé. Le meurtre est donc lié à l'incapacité des deux protagonistes à communiquer.

         Dieu est immédiatement présent pour questionner et sanctionner (s'est-il d'ailleurs jamais éloigné?) La réponse de Caïn : « suis-je le gardien de mon frère? » peut sembler ironique. Mais qui aurait envie de se montrer ironique dans un moment pareil? Je vois plutôt dans cette réponse tout le désarroi de Caïn : il vient de réaliser la portée de son geste et reste stupéfait, choqué (comme la plupart des meurtriers qui ne préméditent par leur geste). Il ne sait pas comment affronter l'irruption de la violence, que ce soit dans sa vie ou dans la civilisation (souvenez-vous c'est le premier meurtre).

         Il est alors menacé de perdre tous ses repères : la terre le renie, il devient dès lors vagabond. Son geste l'a aussi coupé de sa relation avec Dieu (« Si tu me chasses aujourd'hui de l'étendue de ce sol, je serai caché à ta face.). Rappelons que le terme « péché » signifie « rupture de relation ». Ce n'est pas l'acte qui est montré du doigt, mais le fait que cet acte isole celui qui le commet, qu'il le coupe de sa relation avec Dieu et avec les hommes. C'est bien cela qui mène à la mort.

         Quand il découvre les conséquences de son geste, Caïn a peur. Il découvre aussi qu'il vient de mettre en route la spirale de la violence (« quiconque me trouvera me tuera »). Il crie alors vers Dieu : « ma faute est trop lourde à porter ». Et Dieu décide de protéger Caïn par un signe. Le narrateur insiste ainsi sur le fait que, pour Dieu, la vie humaine, même celle d'un meurtrier, est sacrée. Aucun être humain n'a le droit de prendre la vie d'un autre, fut-il mauvais.

         Dieu offre, par sa décision, les conditions d'un avenir en dépit du meurtre. Il permet à Caïn de s'installer au pays de Nod (Nod étant un pays imaginaire dont le nom est construit à partir d'un jeu de mot en hébreu sur le verbe « errer »). Ce pays est situé à l'est d'Éden, l'Est étant le symbole de l'espérance, là où le soleil se lève, l'espoir d'un jour nouveau.

         La suite du récit de Genèse 4 nous apprend que l'installation de Caïn va permettre la naissance de la civilisation. Sept générations descendront de lui, un chiffre symbolique pour dire un peuple. Parmi ses descendants, il y aura des éleveurs, des artisans qui forgeront le serpent d'airain salutaire dans le désert, des musiciens. Ainsi la violence n'empêchera pas le progrès, la civilisation. Peut-être faut-il aller plus loin et se demander si une civilisation sans violence est possible... La violence n'a pas empêché la vie, même si celle-ci demeure fragile et menacée.

         Le récit de Caïn et Abel nous présente donc une réflexion sur la violence comme faisant partie de la condition humaine. Selon l'auteur de ce texte, cette violence naît du fait que l'homme ne supporte pas la différence, l'inégalité. Dieu néanmoins n'est pas étranger à cette violence, puisqu'il confronte l'homme à l'expérience de l'inégalité. La violence, comme la liberté et la responsabilité, font partie de la situation de l'être humain. Mais Dieu veut également que l'homme apprenne à gérer la violence en s'opposant à son escalade. La gestion de la violence implique que nous reconnaissions notre propre violence et que nous ne fermions pas les yeux sur celle qui nous entoure et nous laisse souvent démunis. Affronter la violence, c'est accepter d'y être mêlé.

        ....

         Nous ne sommes pas responsable du vent qui souffle. Nous ne sommes pas responsable du fait que la violence est en nous. Nous pouvons déculpabiliser !

         Mais nous sommes responsables de nos actes face à ce vent, cette violence. Et ce qui est faute, ce qui est péché, c'est lorsque cette violence, en s'exprimant, nous coupe de Dieu ou des hommes. Il nous faut donc apprendre à la gérer. Oui, mais. comment?

     ....

     La suite du raisonnement est une expression de sa foi catholique, mais pour répondre à cette question par le bon sens universel, je dirai que chacun devrait avoir le courage d'y faire face dans sa vie quotidienne en se fondant sur sa foi, en espérant ne pas y mettre un zèle destructeur.

    Le Coran aussi évoque l'histoire du premier meurtre, Kabil tuant son frère Habil par jalousie, le regrettant par la suite, il s'éloigna des voies d'Allah, devenant un malheureux perdant. On y insiste aussi sur l'importance de l'inhumation, respectant le corps et la mémoire du défunt. Chaque religion offre des ressources pour surmonter la haine issue de la violence, mais la religion est une arme a double tranchant, souvent utilisée pour détruire avant de construire.

    réactions de douleurs due à la mort en Syrie

    Pour en revenir au conflit en cours, qui met aux prises deux branches inconciliables de l'islam. Qu'on le veuille ou non, il s'agit d'une guerre entre chiites et sunnites, et le défi c'est justement de trouver un terrain d'entente, le moyen d'affirmer avec une certaine force le mot "frères" afin de limiter un peu l'horreur vécue actuellement.

    L'islam, en tant que religion de masses, n'encourage pas la reflexion individuelle, le musulman "réussi" est celui qui se plie à un rythme collectif de vie sociale et de prières, il est heureux en accomplissant tous ses devoirs en se fondant plus ou moins dans le groupe, il n'a pas besoin de trop réflechir, mais il doit se concerter avec ses frères qui ont sa confiance, ce qui est une bonne chose en soi pour qui sait écouter et suivre son intuition. C'est pourquoi l'islam ne convient pas trop aux intellectuels, aux détenteurs du savoir, qui ont besoin de s'isoler, de reflechir, de se remettre en question. Il y en a qui réussissent à vivre leur foi dans la solitude, mais il y en a peu qui possèdent une autorité spirituelle ou doctrinale en terre d'islam. Au contraire, ce sont les ignorants qui mènent la danse (pas partout, heureusement).

    Ce qui m'amène à dire que les oulemas, les docteurs en religion, les imams, ont un rôle à jouer, dans l'effort de réduire les différences entre sunnites et chiites, parceque cet effort doit impérativement se faire, mais j'ai bien peur que cela ne se produise qu'après un long affrontement, comparable aux guerres opposant catholiques et protestants. Du Maroc au Pakistan, les pouvoirs politiques ne sont pas disposés à laisser se développer une entente cordiale, ou seulement des recherches en sciences humaines afin de mieux comprendre l'autre versant de l'islam. Par exemple, justement dans certaines universités du Maghreb, on interdit l'étude de la langue iranienne, de peur que cela ne serve de point de départ à une "conversion" au chiisme!

    D'ailleurs, avec l'implication du Hezbollah chiite dans le conflit syrien, je me demande comment les sunnites peuvent se reconnaitre entre eux, ou les chiites entre eux, y a-t-il des habits caractéristiques des uns et des autres? tout cela me semble bien ridicule et dangereux. On pourrait reconnaitre facilement les Iraniens à leur accents, mais un Syrien sunnite pourrait distinguer du premier coup d'oeil un Syrien chiite? ça m'étonnerai, ce serait plutôt des communautés bien identifiées géographiquement, ou lors des fêtes religieuses qu'il y aurait des risques de massacres. On peut espérer que les troupes du hezbollah, perdant en crédibilité dans leur lutte contre le sionnisme, ne se laissent pas aller jusqu'au massacre des populations civiles sunnites.

    C'est pourquoi si on arrive à un équilibre des forces en présence, cela renforcera les chances d'une solution négociée même si les combats doivent se poursuivre encore un an ou deux jusqu'à l'épuisement des deux bords. Un statut-quo équivalent à une défaite du régime, mais pas complétement, il en restera des éléments potables qui pourraient tenter de reconstruire le pays sous l'égide des Nations Unies et de la Ligue des états islamiques. Il y a eu déjà tant de destructions, les mosquées de Damas et d'Alep, les jusqu'au boutistes détruisant tant de vies humaines, tant d'espérances. Bientôt, si rien n'est fait, il ne restera de la Syrie que la mémoire d'une tradition passée.

    La conférence de Geneve II est une opportunité de discuter d'une base de travail acceptable pour toutes les parties, malgré le cynisme des grandes puissances, il y a une chance de parvenir à l'ébauche d'un accord de cessez-le-feu, accord qui n'aboutira qu'après épuisement des ressources et des combattants sur le terrain et la neutralisation des groupes salafistes.

    En espérant que cela ne dure pas trop longtemps et que les hommes répondent plus souvent à la question "suis-je le gardien de mon frère?" en épargnant des vies humaines.

    Faraj 

     mosquée des Omeyyades détruite, 16 mars 2013

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     






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  • une femme lit le coran devant la tombe d'un procheRSS
     
     
    Deir Ezzor, ancien fleuron de l'industrie pétrolière syrienne, a été entraîné dans le conflit en juin 2012, et plus de 3.000 personnes y ont péri depuis selon Abdelrazzak, ancien employé des puits de pétrole devenu fossoyeur.

    "Dieu punira Bachar et les siens pour avoir transformé nos jardins publics en cimetières" lance Mohammad Assad. Il se recueille, un exemplaire du Coran entre les mains, sur la tombe de son fils aîné près d'une balançoire dans un parc de Deir Ezzor, dans l'est syrien.

    Hommes, femmes, enfants, combattants parfois tout juste sortis de l'adolescence: le Parc El-Machtal accueille chaque jour de nouvelles victimes du conflit qui déchire la Syrie depuis qu'un soulèvement contre le régime du président Bachar al-Assad lancé il y a deux ans s'est transformé en lutte armée.

    Oum Mohammad, elle, pleure son fils de 11 ans, tué par un bombardement.

    "Je viens tous les jours du lever du soleil jusque vers 16h pour être avec mon petit. C'est une façon de rester à ses côtés... Je l'accompagne, je lui dépose des versets du Coran et je parle avec lui". Le garçonnet a été tué par des éclats d'artillerie alors qu'il jouait devant le domicile familial avec un de ses meilleurs amis, tué lui aussi.

    "Il était mon sourire, ma motivation pour sourire chaque jour au milieu de cette guerre et maintenant il est mort", se lamente cette mère, se griffant le visage avec les ongles, avant d'insulter le régime Assad.

    "Depuis neuf mois, tout ce qu'on a reçu de la part du gouvernement de Syrie, ce sont des bombes et encore des bombes", ironise le fossoyeur, Abdelrazzak.

    "Mes enfants ne peuvent sortir car c'est trop dangereux. Cela fait neuf mois qu'ils sont cloîtrés à la maison car j'ai dû enterrer tellement d'enfants de mes propres mains, que je ne veux pas avoir à le faire avec les miens", soupire-t-il. "Je n'aurais jamais pensé que le jardin où jouaient mes enfants finirait par etre transformé en cimetière", dit-il, désignant une multitude de monticules de terre, certains ornés de quelques fleurs en plastique.

    "Est-ce bien la peine"

    Deir Ezzor, ancien fleuron de l'industrie pétrolière syrienne, a été entraîné dans le conflit en juin 2012, et plus de 3.000 personnes y ont péri depuis selon Abdelrazzak, ancien employé des puits de pétrole devenu fossoyeur.

    Le cimetière municipal ayant rapidement été débordé, les parcs municipaux ont été réquisitionnés.

    Dans le seul parc El-Machtal gisent 160 "martyrs" -- certains ne sont pas identifiés, et la tombe ne contient parfois qu'un membre, seul reste d'un corps pulvérisé par les bombes.

    Abdelrazzak a noté dans un carnet la disposition des tombes et ce qu'on sait de leur occupant. "Si jamais un obus ou une roquette explose et détruit les tombes, je saurai où va chaque corps grâce à ce dessin. Nous ne pouvons permettre que les familles prient pour des défunts qui ne sont pas les leurs".

    De l'autre côté du parc, une femme agenouillée caresse la terre fraîchement retournée et lance: "Saad, pourquoi? Pourquoi fallait-il que tu t'en ailles?" Son frère, Saad Haj Chehab, est mort le 16 février dernier à seulement 17 ans, pendant qu'il combattait contre le régime.

    "Mon frère est mort en combattant un dictateur. Nous sommes fiers de lui", explique un de ses frères, Ahmad Taj Haj Chebab, qui combat lui même, comme ses trois autres frères, aux côtés de l'Armée syrienne libre (ASL).

    Un groupe de combattants entre dans le parc, arme à l'épaule. Ils déambulent parmi les tombes avant de s'arrêter devant l'une d'elles, sur laquelle un jeune homme s'effondre en pleurant.

    "C'est mon père... Il est mort dans un bombardement du régime. J'étais au front quand il a été enterré et je n'ai pas pu lui faire mes adieux", sanglote-il, avant de crier "père, pardonnes-moi".

    "Chaque jour je vois des scènes comme celles-ci. Des jeunes pleurant leurs parents. Les parents pleurant leurs enfants", soupire le fossoyeur. "Tant de sang, est-ce bien la peine? Sincèrement, je me demande cela chaque jour quand ils arrivent ici pour que je les enterre dans ce cimetière. Et je n'ai toujours pas trouvé la réponse," reconnaît Abdelrazzak.

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