• Je suis tombé sur la nouvelle de la libération de Domenico Quirico, Journaliste italien de La Stampa, retenu en Syrie durant cinq mois avec un enseignant belge. Voici des extraits de son récit, simple et terrible histoire d'un homme pris dans les tourments de la guerre:

     

    Nous sommes entrés en Syrie le 6 avril 2013 avec l'accord de l'Armée syrienne libre (ASL) et sous sa protection, comme les fois précédentes. J'ai essayé de me rendre à Damas pour vérifier par moi-même, comme je le fais toujours, les nouvelles qui circulaient à propos de la bataille décisive de cette guerre civile. Mais nous avons été informés qu'il fallait attendre quelques jours et c'est ainsi que nous avons accepté la proposition de nous rendre dans la ville de Qoussair, proche de la frontière libanaise, qui était alors assiégée par le Hezbollah, allié fidèle du régime de Bachar Al-Assad.

    Nous sommes arrivés à Qoussair avec un convoi de ravitaillement de l'ASL, un long voyage de nuit tous feux éteints à travers les montagnes – le régime contrôlait les routes. Nous avons été bombardés par un Mig près d'un moulin de l'époque byzantine. Nous nous trouvions dans la vallée de l'Oronte, un endroit où, au cours de l'histoire, les empires se sont faits et défaits.

     voir cette carte pour mieux se situer: http://wikis.ifporient.org/archeologie/index.php/Oronte

     

    C'est là que la bataille entre Ramsès II et les Hittites a eu lieu. Ici, l'histoire est partout, dans chaque colline, dans chaque pierre. La ville était déjà dévastée et détruite par les bombardements de l'aviation alors, la nuit suivante, nous avons décidé de revenir à notre point de départ pour savoir s'il était possible de prendre la route de Damas.

    L'ENLÈVEMENT

    Nous avons demandé à être accompagnés par des hommes de l'ASL [Armée syrienne libre] et c'est en compagnie de deux d'entre eux, avec qui nous venions de dîner, que nous sommes partis. Nous les pensions fiables. Mais il est probable que ce soit eux qui nous aient trahis et vendus. Dès la sortie de la ville, notre voiture a été stoppée par deux pick-up remplis d'hommes masqués. Ils nous ont fait monter dans leurs véhicules, puis nous ont conduits dans une maison où ils nous ont battus.

    Ils se présentaient comme des policiers du régime. Les jours suivants, cependant, nous avons découvert que c'était faux, car nos ravisseurs étaient de fervents musulmans qui priaient cinq fois par jour de façon savante et mélodieuse. Le vendredi, ils ont écouté le sermon d'un prédicateur qui soutenait le djihad contre Assad. Mais ce n'est que lorsque nous avons été bombardés par l'aviation que tout reste de doute s'est évanoui : ceux qui nous avaient pris en otage étaient des rebelles.

     

     

     

    L'ÉMIR ABOU OMAR

    Le créateur et chef du groupe de nos ravisseurs était un soi-disant émir qui se fait appeler Abou Omar, vraisemblablement un surnom. Il a formé sa brigade en recrutant des gens du coin, plus bandits qu'islamistes ou révolutionnaires. Cet Abou Omar couvre ses trafics et activités illicites d'un vernis d'islamisme et collabore avec le groupe qui nous a récupérés ensuite, Al-Farouq. Cette faction très connue de la révolution syrienne fait partie du Conseil national syrien et ses représentants rencontrent les gouvernements européens. Elle a été créée par un général rebelle qui a enrôlé ses troupes parmi les gens les plus pauvres de Homs, les laissés-pour-compte du régime mafieux syrien. L'Occident leur fait confiance, mais j'ai appris à mes dépens qu'il s'agit aussi d'un groupe assez emblématique d'un phénomène nouveau et préoccupant pour la révolution : l'émergence de bandes de malfrats, comme en Somalie, qui profitent du vernis islamique et du contexte révolutionnaire pour s'emparer de pans entiers du territoire, rançonner la populationenlever des gens et se remplir les poches.

    LE PREMIER LIEU DE DÉTENTION

    Au début, nous avons été détenus dans une maison de campagne aux abords de Qoussair. Nous y sommes restés une vingtaine de jours. Puis est survenu le premier événement terrible de ce que j'appelle la "matriochka" de cette histoire, un événement au sein d'un autre : le Hezbollah a attaqué les positions rebelles et la bâtisse dans laquelle nous nous trouvions s'est retrouvée en première ligne. Elle a été attaquée et bombardée. Nous avons alors été déplacés dans une autre maison, à l'intérieur de la ville. Mais c'était comme si le destin s'acharnait sur nous, ouvrant sans cesse de nouveaux scénarios terribles, nous éloignant toujours plus de la perspective d'une libération.

     

    Domenico Quirico, journaliste du quotidien "la Stampa", habitué des théâtres de guerre, avait été enlevé en Syrie début avril.

     

    Cette maison aussi a fini par être attaquée et, durant une semaine, nous avons été confiés à une brigade djihadiste de Jabhat al-Nosra. C'est le seul moment où nous avons été traités comme des êtres humains, et même avec une certaine sympathie : par exemple, ils nous ont nourris de ce qu'ils mangeaient eux-mêmes. Les combattants du Jabhat Al-Nosra mènent une vie très simple. Ce sont des guerriers radicaux, des islamistes fanatiques qui ont pour ambition de faire de la Syrie un Etat islamique et de transformer tout le Moyen-Orient, mais en face de leurs ennemis – parce que nous, chrétiens, occidentaux, nous sommes leurs ennemis –, ils ont le sens de l'honneur et du respect. Al-Nosra a beau être inscrite sur la liste des organisations terroristes dressée par les Américains, c'est le seul groupe qui nous ait respectés. Mais nous sommes revenus aux mains d'Abou Omar.

    L'EXODE DE QOUSSAIR

    La ville était assiégée et se réduisait chaque jour, détruite pierre après pierre. Au début du mois de juin, le Hezbollah était sur le point de la prendre. L'ensemble des différentes factions rebelles (dont la katiba – l'unité – d'Abou Omar) a décidé d'enfoncer les lignes ennemies avec la population pour tenter de fuir dans une autre partie de la Syrie. De façon incroyable, ils ont, nous avons, réussi. Cela a été une épopée extraordinaire et terrible, avec des hommes, des femmes, des enfants, des handicapés et des personnes âgées marchant pendant douze heures, deux nuits consécutives, à travers la campagne. Un groupe de cinq à six mille personnes.

    Tout au long de cette marche sur les cailloux, un bruit sourd s'élevait de la foule, comme s'il ne s'agissait que d'un seul et même corps en mouvement. Lorsque les fusées éclairantes lancées par les soldats du régime pour permettre à l'artillerie et aux mitraillettes de les abattre illuminaient la scène, la campagne devenait éblouissante et ces milliers de gens se jetaient aussitôt à terre dans un silence incroyable. Et quand les fusées éclairantes, qui descendent tout doucement, finissaient par s'éteindre au sol, la foule se relevait comme un seul homme, reprenant sa route en laissant derrière elle son chapelet de morts.

    PÊCHES AMERES

    Au bout de la première nuit, l'armée est parvenue à bloquer notre avancée et tout le monde s'est dispersé dans les vergers et les champs, sans eau ni nourriture, pour attendre une autre nuit et essayer de repartir. Il n'y avait rien à manger. Juste les pêches sur les arbres, qui, en juin, étaient encore loin d'être mûres. Nous en avons écrasées pour manger le cœur et le noyau qui étaient assez mous.

    Parfois quelques vieilles figures homériques s'avançaient seules vers les lignes de l'armée de Bachar, et elles étaient fauchées par les mitraillettes. Mais la chose la plus extraordinaire s'est produite lorsque, au coucher du soleil, toute cette foule s'est arrêtée pour prier. Les hommes d'Abou Omar ont croisé deux kalachnikovs à la tête du convoi des combattants pour entonner une prière guerrière. Un chant modulé s'est élevé au-dessus des champs et des bois pour demander à Dieu la victoire et la mort de leurs ennemis. Après quoi, la foule s'est dirigée droit vers l'ennemi, a enfoncé les lignes et, de façon incroyable, a passé les soldats.

    VERS HOMS

    Nous sommes descendus vers Homs depuis le haut-plateau. Je me souviens avoir pensé que j'étais en train de rêver, tant la scène était irréelle. Nous avancions de nuit vers cette grande ville, là où la révolution a débuté. Une partie de la cité était déserte, déjà détruite par les bombardements. L'autre était encore habitée, en proie à d'incessants combats. Par un effet d'optique aussi étrange qu'incroyable, l'immense étendue de maisons blanches se reflétait dans le ciel : une partie de la ville, celle en ruines, avait l'immobilité et le silence d'un cimetière, quand l'autre n'était que lumières, rafales, fusées et bruits. Nous avons continué vers la plaine de Homs. Nous marchions entre deux rangées de feu entourés d'ombres : les gens couraient en baissant la tête car les mitraillettes tiraient à hauteur d'homme, nous trébuchions sur les cadavres, jusqu'à finalement arriver dans une petite ville de ciment, l'une de ces innombrables et affreuses petites villes syriennes, mal construites et approximatives.

     

    Après cette nuit-là, nous avons été ramenés là où notre voyage avait commencé. De retour à Reabrook (!), la ville d'où nous étions partis, nous avons été vendus à Al-Farouq. Le périple a recommencé parce qu'après deux jours, ils nous ont dit que nous irions vers le Nord, à la frontière turque, et que là, nous serions libérés.

    Nous avons voyagé deux nuits sur leurs pick-up à travers les montagnes. Les chauffeurs se servaient de temps en temps de jumelles à infrarouges pour vérifier que les militaires ne préparaient pas de guet-apens sur la route. Après une seconde nuit de voyage et de froid, nous avons atteint la zone d'Idleb, où nous avons été retenus encore trois ou quatre semaines sur une base militaire.

     

    Domenico Quirico (second en partant de la droite), journaliste du quotidien "La Stampa" à son arrivée à Rome. Il avait été enlevé en Syrie début avril.

     

    L'APPEL

    Pendant l'exode de Qoussair, après le premier jour de marche, Abou Omar m'a fait venir, alors qu'il était assis comme un pacha sous un arbre, entouré de sa petite cour de guerriers. Il voulait que je m'assois à ses côtés, dans l'intention defaire croire qu'il était notre ami, histoire de tromper un peu les gens qui l'entouraient et qui se demandaient qui pouvaient bien être ces deux occidentaux en haillons et piteux état après deux mois de captivité. Je lui ai demandé son téléphone pour appeler la maison, lui disant que ma famille me croyait sans doute mort et qu'il était en train de détruire ma vie et ma famille. Il riait. Et il me montrait son téléphone en m'expliquant qu'il n'y avait pas de réseau, qu'on ne pouvait pas appeler. C'était faux.

    A ce moment-là, un soldat de l'ASL, blessé aux jambes, a sorti un téléphone de la poche de son pantalon et me l'a tendu. C'est le seul geste de pitié que j'aie reçu en 152 jours. Personne n'a manifesté envers moi ce que nous appelons communément pitié, miséricorde, compassion. Même les enfants et les vieux ont essayé de nous faire du mal. Je le dis peut-être en termes un peu trop éthiques mais en Syrie, j'ai vraiment rencontré le pays du Mal. Je n'ai pas réussi à appeler la maison plus de vingt secondes, et après le cri désespéré que j'ai entendu à l'autre bout du fil, on a été coupés.

    LA CAPTIVITÉ

    Nous étions traités comme des animaux, enfermés dans de petites pièces aux fenêtres closes malgré la chaleur étouffante, jetés sur des paillasses, nourris de leurs restes. De toute ma vie, jamais je n'avais ressenti cette humiliation quotidienne qui consiste à être empêché d'accomplir les choses les plus simples comme aller aux toilettes, à devoir demander et s'entendre toujours répondre non. Je crois qu'ils éprouvaient un vrai plaisir à voir l'occidental riche réduit à l'état de mendiant.

    LES TENTATIVES D'ÉVASION

    La première fois, nous n'avions pas fait deux cents mètres qu'ils nous ont repris. La seconde fois, en revanche, nous étions dans une autre ville, c'était vers la fin de notre captivité. Nous avons profité de la distraction de nos gardiens, quatre garçons, qui souvent ne prenaient pas garde à leurs affaires le soir, à leurs blousons remplis de chargeurs, à leurs kalachnikovs, qu'ils laissaient traîner près de notre pièce. Nous nous sommes emparés de deux grenades, dans l'intention de nous en servir pour dégager la voie. 

    Nous pensions les surprendre, leur dérober un téléphone, appeler chez nous, en Italie, pour être guidés pendant notre évasion. Malheureusement, ou heureusement, parce que je pense qu'une telle tentative m'aurait causé d'énormes problèmes moraux, nous n'avons pu mettre notre plan à exécution. Mais un soir où ils avaient oublié de fermer la chaîne sur la porte de la maison, nous sommes sortis, armés de deux kalachnikovs, et nous sommes partis vers Bab al-Hawa, à la frontière turque. Je connaissais déjà cette zone pour m'y être rendu en janvier.

    RÉDUITS À DES MARCHANDISES

    Nous nous sommes cachés dans une sorte de ruine dans la campagne. De nuit, nous avons essayé de traverser la frontière mais le terrain était miné. Nous avons atteint le fil barbelé et dû rebrousser chemin. A l'aide de la kalachnikov, nous avons arrêté un véhicule et demandé au conducteur de nous conduire à un village non loin de là. Mais il y avait un barrage.

    Ils nous ont tiré dessus, arrêtés, ramenés dans la maison où nous étions enfermés et rendus à nos geôliers pour nous punir. Lesquels nous ont enfermés pendant trois jours dans un sorte de cagibi avec les mains attachées dans le dos, presque pieds et poings liés. Notre valeur n'était que marchande.

    Mais si on détruit la marchandise, on s'expose à ne pas en obtenir le prix qu'on en attend. Nous avions vraiment l'impression de n'être que des sacs de blé... S'ils nous abîmaient trop, ou définitivement, nous aurions perdu toute valeur marchande. L'horrible loi de l'otage.

    LES CHOSES SIMPLES DE LA VIE

    Il y a des années, je m'étais entretenu avec Georges Malbrunot, journaliste du Figaro qui a été sans doute l'un des otages les plus célèbres pendant la seconde guerre du Golfe. Je crois qu'il est resté prisonnier environ quatre mois. Il racontait le dépouillement de tout ce qui fait une personne, comme les chaussures, les vêtements...

    Moi, je suis resté cinq mois sans chaussures, pieds nus. Pendant cinq mois, ma vie n'a été rythmée que par le lever et le coucher du soleil. Et l'impossibilité d'accomplir toutes les choses dont la vie est faite: marcherbougerrencontrer des gens, écrire, lireregarder le paysage, rêver de faire des choses que parfois ensuite on ne fait pas. Moi, pendant cinq mois, j'ai perdu tout ce qui faisait mon mode de vie, j'ai végété, au sens propre.

    Pendant cinq mois, ma vie m'a été dérobée, remplacée par quelque chose d'artificiel, qui consistait pour moi à être un objet et à lutter contre le temps. J'ai découvert le caractère extraordinaire de choses qui semblent aussi anodines qu'un verre d'eau. Ou la contemplation du soleil, parce que nos fenestrons étaient minuscules et que, bien souvent, nous restions dans l'obscurité complète. Marcherparler avec quelqu'un qui ne soit pas toujours mon compagnon de mésaventure. Et heureusement qu'il était là, sinon je serais devenu fou.

    LES GEÔLIERS

    Ils appartenaient à un groupe qui se prétend islamiste mais qui, en réalité, est composé de jeunes déséquilibrés qui sont entrés dans la révolution parce que, désormais, la révolution, c'est ces groupes à mi-chemin entre banditisme et fanatisme.

    Ils suivent celui qui leur promet un avenir, qui leur donne des armes, de la force, de l'argent pour acheter leurs téléphones, leurs ordinateurs, leurs vêtements. La marque Adidas est très répandue en Syrie, tout le monde porte des T-shirts Adidas, des chaussures Adidas, on dirait presque qu'ils sont sponsorisés. Ces jeunes gens mènent une vie communautaire, sans femme ;

    Ils fument aussi des Malboro américaines importés de Turquie. Moi qui ne fume ni ne bois, j'avais l'air plus islamique que la plupart d'entre eux. Ils regardaient la télévision mais les informations ne les intéressaient absolument pas. Ce qu'ils aimaient bien, en revanche, c'était les petits films vaguement osés diffusés par la télévision qatarie, les vieux films égyptiens à l'eau de rose des années 1950 en noir et blanc et les spectacles de combat, le catch américain ou cette terrible forme de lutte pratiquée dans les pays arabes où tous les coups sont permis...

    LES SIMULACRES D'EXÉCUTION

    Par deux fois, ils m'ont fait croire qu'ils allaient m'exécuter. Nous étions près de Qoussair. L'un d'eux s'est approché de moi avec son pistolet, m'a montré que l'arme était chargée puis, mettant ma tête contre le mur, il a approché le canon de ma tempe. Interminables instants pendant lesquels tu as honte... je me souviens du simulacre d'exécution de Dostoïevski... il te monte une telle colère parce que tu as peur... tu sens respirer l'homme à côté de toi, son plaisir palpable de tenir la vie d'un autre entre ses mains, de ressentir ta peur, et c'est contre ta peur qu'alors tu enrages. C'est un peu comme lorsque les enfants, qui sont souvent si cruels, arrachent la queue des lézards ou les pattes des fourmis. La même férocité.

     

    LES TRACTATIONS

    Pour se moquer de nous, nos geôliers nous lançaient de temps en temps "dans deux ou trois jours, peut-être une semaine, vous serez libres, de retour en Italie" pour se délecter ensuite de notre désespoir... lorsqu'ils ajoutaient Inch'Allah, leur façon à eux de mentir sans en avoir l'impression, Inch'Allah, si Dieu le veut... Ils disaient tout le temps "bukrah", qui signifie demain... mais le lendemain, personne ne partait. Un jeu vraiment cruel, mais les derniers temps, lorsqu'ils jouaient à ce petit jeu avec nous, nous leur répondions à notre tour : "Inch'Allah" pour qu'ils sachent que nous avions compris. A la fin, dimanche, j'ai senti que cette fois, c'était la bonne.

    Nous avons traversé quasiment tout le pays, peut-être dans le but de brouiller les pistes, jusqu'à Deir ez-Zor, dans le grand désert syrien. Nous avons fait halte dans une ville dont je ne connais pas le nom et puis nous sommes retournés d'où nous venions par la même route. Une sorte de diversion.

    Et nous avons été libérés. Cette fois, aucun Inch'Allah qui vaille. Ils nous ont fait descendre des voitures de l'autre côté de la frontière, nous intimant de marcher. J'avoue avoir pensé qu'ils allaient nous tirer dans le dos, il faisait sombre, c'était la nuit, dimanche avant l'aube. J'ai songé que si j'entendais le bruit du chargeur, je me jetterais au sol. J'étais sûr qu'il m'auraient tué, nous avions vu leurs visages, nous connaissions leurs noms. Mais personne n'a chargé de kalachnikov. Et j'ai entendu des voix italiennes. Inch'Allah, cette fois, c'était bien la bonne.

    LES LIVRES

    Je voyage toujours avec des livres, et je leur sacrifie volontiers trois T-shirts de rechange dans mes bagages. Cette fois, j'en avais emportés quatre. Deux d'un auteur aujourd'hui malheureusement oublié, Erich Maria Remarque, deux titres peut-être un peu mineurs, Un temps pour vivre, un temps pour mourir, et Après qui raconte le retour de quelques rescapés allemands à la fin de la première guerre mondiale. Un peu le symbole pour moi de ce chemin du retour que je ne parvenais pas à trouver. Et puis Les Nus et les morts de Norman Mailer et Crime et châtiment de Dostoïevski.

    Je les ai lus et relus. Je peux vous parler de tous les personnages, les réciter en partant de la fin. Ils ne m'ont pas quittés, où que j'aille, et au prix d'une fatigue certaine, car ils pesaient lourd, j'ai marché avec eux deux nuits et deux jours durant la retraite de Qoussair. Le dernier jour, ils me les ont confisqués. Les livres nous parlent. Mais il y a eu un long moment où ils ne me parlaient plus, où les mots, les histoires, les personnages filaient devant mes yeux... Si je fais d'autres voyages de ce genre, j'emporterai toujours La Recherche de Proust, Don Quichotte de Cervantes, des livres longs, très longs... ça aide.

    LA FOI

    Cette expérience est remplie de Dieu. Pierre Piccinin [le compagnon de captivité de Domenico Quirico] est croyant. Je le suis aussi. Ma foi est très simple, c'est celle de mes prières d'enfant, des prêtres que je croisais alors, pédalant vers leurs petites paroisses chaussés comme des ouvriers, leur sacoche attachée à leur vélo. Ils allaient porter l'extrême onction, bénir les maisons, avec la foi de Bernanos, simple mais profonde. Ma foi, c'est de me donner, je ne crois pas que Dieu soit un supermarché, où on va demander à peu de frais la grâce, le pardon, un service. Avoir la foi m'a aidé à résister.

    Notre histoire, c'est celle de deux chrétiens dans le monde de Mohammad et de la comparaison entre deux fois différentes : la mienne, simple, faite de don de soi et d'amour, et la leur, qui est faite de rituels. J'avais aussi avec moi un de mes carnets où j'écrivais chaque jour ce qui s'était passé. Je l'avais presque fini, il ne restait que deux pages. Le dernier jour, ils me l'ont pris. Il m'a surtout servi à tenir le compte des mois, des jours, parce que si on perd le sens du temps, on sombre dans un puits d'où on ne ressort pas." 

    Domenico Quirico (traduit de l'italien par Florence Djibedjian)

    Source: lemonde.fr

    article original en italien: http://www.lastampa.it/2013/09/10/esteri/il-racconto-di-domenico-quirico-io-tra-bombe-fughe-e-umiliazioni-zkKhtCQSKkvLZOxHfADAlO/pagina.html  




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    De plus en plus de crimes de guerre en Syrie, dit l'ONU

     
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    Paulo Pinheiro, président de la Commission d'enquête de l'ONU sur les crimes contre les droits de l'homme en SyriePaulo Pinheiro, président de la Commission d'enquête de l'ONU sur les crimes contre les droits de l'homme en Syrie  Photo :  AFP/FABRICE COFFRINI

    Le gouvernement syrien et les rebelles qui cherchent à le renverser se livrent à de plus en plus de crimes de guerre dans le cadre d'une guerre territoriale impitoyable, écrivent les enquêteurs des droits de l'homme de l'ONU dans un rapport publié mercredi.

    Ce rapport, portant sur la période du 15 mai au 15 juillet, estime par ailleurs que des armes chimiques ont probablement été utilisées en Syrie, mais qu'il n'est pas possible de dire avec certitude par qui, malgré les soupçons pesant sur les troupes gouvernementales du président Bachar Al-Assad.

    Les enquêteurs des droits de l'homme précisent qu'ils ne se sont toujours pas vu accorder l'accès au territoire syrien, malgré des demandes répétées, et qu'ils ont donc rédigé leur onzième rapport sur la Syrie en deux ans sur la base de 258 entretiens, dont certains réalisés par Skype.

    Selon leurs conclusions, la période de mi-mai à mi-juillet a vu une implication accrue des combattants du Hezbollah libanais, côté gouvernemental, et du Front al-Nosra, lié à Al-Qaïda, dans les rangs des insurgés, dans un conflit qui se déroule de plus en plus suivant des lignes confessionnelles.

    Au moins huit massacres de civils ont été commis pendant cette période, dont sept sont imputés par le rapport aux forces de Bachar Al-Assad.

    Milice pro-Assad

    Les experts indépendants se sont penchés en particulier sur deux massacres commis en mai dans les villages de Baïda et Ras al-Nabaa, deux enclaves favorables aux rebelles situés près de la ville portuaire de Banias, entre Lattaquié et Tartous, sur la côte méditerranéenne.

    Selon des « témoignages concordants », des membres des Forces de défense nationale, une milice pro-Assad, ont été « activement impliqués » dans l'assaut lancé contre les villages, où de 300 à 450 civils ont été tués en deux jours.

    « Cette opération n'a pas été menée dans le cadre d'une confrontation militaire. Les forces gouvernementales contrôlaient totalement la région » et ont empêché des centaines de civils de fuir « en les refoulant aux check-points » établis aux abords des villages, précisent les enquêteurs de l'ONU.

    Outre ces massacres, l'armée de Bachar Al-Assad a bombardé des écoles et des hôpitaux et commis d'autres crimes de guerre pour récupérer le terrain cédé aux insurgés ces derniers mois, lit-on dans le rapport de 42 pages.

    Les experts ont ainsi pu établir qu'au moins 450 personnes, dont la moitié de civils, ont été tuées lors de la prise de la ville de Qousseir l'armée syrienne et ses alliés du
    Hezbollah. La ville a été privée d'eau et d'électricité et soumise à d'intenses bombardements.

    Les rebelles et des combattants islamistes étrangers ont eux aussi commis des crimes de guerre tels que des exécutions sommaires, des prises d'otages et des bombardements de zones civiles.

    Crimes contre l'humanité

    Le seul massacre délibéré de civils attribué par le rapport aux insurgés pendant la période couverte par l'enquête a eu lieu en juin, lors de la prise de Hatla, dans la province de Deir Ezzor (est), où une trentaine de civils chiites ont été exécutés sommairement, dont des enfants et des femmes.

    « Les auteurs de ces violations et de ces crimes, quel que soit leur bord, ont agi en violation du droit international. [...] Il est impératif de les traduire en justice », ajoute la commission d'enquête dirigée par le diplomate brésilien Paulo Pinheiro.

    La commission, dont fait aussi partie Carla Del Ponte, ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, appelle le Conseil de sécurité de l'ONU à engager des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

    Les experts disent avoir recueilli des témoignages qu'ils n'ont pu vérifier pour l'instant sur l'usage d'armes chimiques, « principalement par les forces gouvernementales ».

    « Compte tenu des éléments actuellement disponibles, il n'est pas possible d'établir de conclusion sur les agents chimiques utilisés, sur leurs systèmes de propagation et sur ceux qui les ont employés. L'enquête se poursuit », ajoute le rapport.

    La période couverte par le rapport ne comprend pas l'attaque chimique présumée du 21 août près de Damas.

    Reuters

    source: http://www.radio-canada.ca/

     




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  •  Il faut parler aussi de ce qui est beau en Syrie, de ce qui est vivant et qui donne de l'espoir au milieu du chaos. Voici un exemple:

    https://www.facebook.com/media/set/?set=a.611323265563589.1073741836.252281151467804&type=3

    avec quelques photos de cette page facebookColombe blanche

     

    Colombe bléssée

    Mosquée et colombes

     


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  • attentat à la voiture piégée dans un quartier chiite de Beyrouth

    L'implication croissante et ouverte du Hezbollah dans le conflit syrien complique les choses pour les Libanais, effrayés de se retrouver dans une situation de guerre civile. C'est que le mouvement chiite, autoproclamé Résistance Islamique du Liban, se fait un devoir de porter secours au régime chancelant de Damas, à l'appel des autorités religieuses iraniennes mais aussi parcequ'il n'a pas le choix vu le soutien permanent du régime baassiste lors des affrontements avec Israel.

     

     

     

    L'intervention déclarée du Hezbollah signifie une confrontation ouverte entre chiites et sunnites en Syrie, entraînant une fracture à l'intérieur du Liban entre communautés confessionnelles, et même les chefs chiites dénoncent cette dérive du Hezbollah (servant uniquement les intérêts stratégiques de l'Iran) en affirmant que les Syriens ont le droit de determiner leur avenir sans intervention exterieure.

    responsable chiite au Liban

     

     

    Lors d'une manifestation devant l'ambassade d'Iran à Beyrouth, des heurts entre groupes chiites opposés ont été marqués par la mort d'un manifestant (voir l'article précédent: Un manifestant chiite tué devant l'ambassade d'Iran à Beyrouth).

     

    En Syrie même, Al Qaida étend son influence, essayant de contrôler des villages du nord comme El Dana, près de la frontière turque. Récemment un officier de l'ASL (Armée syrienne libre) a été assassiné par des militants d'al qaida. Cette détérioration dangereuse de la situation pose la question de l'acheminement d'armes aux rebelles, encouragé surtout par l'Arabie saoudite qui a d'ailleurs appuyé le nouveau président du Coalition Nationale Syrienne, M. Jarba, élu samedi 6 juillet à Istambul .

    pélerins chiites libérés

    Au Liban, l'influence du puissant mouvement chiite paralyse totalement l'action du gouvernement, bloqué par la majorité relative des députés du Hezb, alors que le nombre de réfugiés syriens ne cesse de croitre, atteignant le chiffre de 800 000 début juillet 2013 grâce à la politique d'accueil du Liban, seul état frontalier de la Syrie à le faire, refletant les liens entre les deux pays. 


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  • source: l'orient le jour, quotidien libanais.

    Un manifestant anti-Hezbollah tué devant l’ambassade d’Iran 

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    10/06/2013

     

    Un jeune manifestant essayant d’esquiver les coups d’une violence inouïe des « chemises noires » du Hezbollah : une image du Liban exécrable comme rarement...
    Un jeune manifestant essayant d’esquiver les coups d’une violence inouïe des « chemises noires » du Hezbollah : une image du Liban exécrable comme rarement...
     
    VIOLENCES « Un chiite, fils de chiite » a été tué hier (9 juin 2013), touché au ventre par des tirs devant le siège de l’ambassade d’Iran, alors que ses camarades manifestants de l’Option libanaise d’Ahmad el-Assaad ont été roués de coups par les « chemises noires » du Hezbollah.

    Le jeune Libanais Hachem Salman (19 ans), responsable des jeunes au sein de l’Option libanaise, parti chiite indépendant, a été tué par des tirs hier lors d’une échauffourée qui a éclaté entre partisans et adversaires du Hezbollah devant l’ambassade d’Iran à Bir Hassan, près de la banlieue sud de Beyrouth. Qu’il ait été tué par des tirs des « chemises noires » du Hezbollah, ou par les gardes de l’ambassade (cette dernière version a été confirmée par une source officielle libanaise à L’OLJ), ce qui est certain est qu’hier, devant le siège de l’ambassade iranienne, un jeune chiite a été tué par un autre chiite.


    Dans les faits, une trentaine de jeunes membres de l’Option libanaise, parti chiite indépendant hostile à l’intervention armée du Hezbollah en Syrie et dirigé par Ahmad el-Assaad, sont arrivés à bord de bus et de vans près de l’ambassade d’Iran pour organiser un sit-in. En quelques secondes, alors que les manifestants commençaient à descendre de leurs véhicules, d’autres hommes, « vêtus de chemises noires avec au bras un ruban jaune », se sont rués sur eux, « armés de bâtons et de toutes les formes d’armes blanches », comme l’a rapporté l’un des manifestants. C’est alors qu’« une personne a tiré à partir d’une arme de guerre, blessant grièvement un citoyen qui a fini par succomber à ses blessures », comme l’a rapporté l’armée dans un communiqué, sans donner de précision ni sur l’assaillant ni sur la victime.

     

     

    L’institution militaire a fait état par ailleurs d’un « différend entre les membres d’un convoi relevant d’un parti politique, qui s’était rendu à Bir Hassan afin de protester devant l’ambassade d’Iran contre les incidents en Syrie, et un groupe de citoyens ». C’est cette même formulation qui a d’ailleurs été reprise par la chaîne al-Manar, relevant du Hezbollah. Le communiqué de l’armée a assuré enfin que celle-ci « est en train de rechercher la personne qui a tiré ». La bagarre, qui a duré quelques minutes, s’est terminée avec l’intervention de l’armée, selon le photographe de l’AFP. L’incident a fait près de 11 blessés, tous parmi les jeunes de l’Option libanaise. Les photographes sur place ont également eu leur part de coups. Les médias ont été interdits de filmer l’échauffourée par les mêmes « chemises noires ».

    Qui a tiré ? 
    Aucune information officielle n’a été fournie sur l’identité du tireur ni même sur le parti dont il relève. Deux versions sont véhiculées : selon la première version, transmise par les médias du 14 Mars, ce sont des éléments du Hezbollah, plus précisément les « chemises noires », qui auraient tiré directement sur le jeune chiite de l’Option libanaise, après que l’un des manifestants eut brandi son revolver et tiré dans l’air en réaction aux attaques subies. Selon la version rapportée par l’Option libanaise, c’est l’un des gardiens de l’ambassade qui aurait tiré en direction des manifestants lorsque l’échauffourée a éclaté, blessant Hachem Salman au ventre. La garde iranienne aurait ensuite établi un périmètre de sécurité autour du siège de l’ambassade. Cette différence de versions est d’autant plus curieuse que l’Agence nationale d’information a d’abord rapporté, vers 13h20, hier, une « altercation entre les gardes de l’ambassade et des manifestants, ayant fait des blessés ». Mais elle n’a pas tardé à publier, vers 13h55, une autre information rectifiant la précédente, et faisant état « d’une altercation entre certains jeunes du quartier et des manifestants, ayant fait des blessés ».

     


    Des témoins oculaires cités par Now Lebanon vont plus loin. Pour eux, « l’attaque contre les manifestants devant l’ambassade d’Iran était préparée à l’avance, .... Plus encore, les agresseurs « se sont rués sur le blessé alors qu’il était déjà étendu au sol, et l’ont roué de coups, avant qu’il ne soit finalement transféré à l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri où il a très vite succombé à ses blessures ».

     

     


     « L’armée et les FSI n’ont pas bronché... » 
    Cet incident, le plus grave du genre dans la capitale libanaise qui soit lié au conflit syrien, intervient deux jours après une mise en garde de l’armée contre des « complots » pour entraîner le Liban dans la guerre civile.


    Si l’armée a indiqué hier dans son communiqué qu’elle est « intervenue immédiatement pour disperser les personnes impliquées dans l’incident », Ahmad el-Assaad, lui, a fait part du « décès de tout ce qui se nomme État libanais ». « Hachem Salman est un chiite fils et petit-fils de chiite, qu’ils ont tué au vu de tous, en lui tirant des balles au ventre, sans que personne, ni armée ni Forces de sécurité intérieure ne bronchent », a affirmé le leader de l’Option libanaise Ahmad el-Assaad. « Les masques sont tombés : nous traitons avec un groupe incapable d’accepter l’existence d’un avis contraire. C’est soit eux, soit personne. » Et de conclure, non sans émotion : « Que ceux qui disent assumer la responsabilité du poste qu’ils occupent ramènent devant la justice celui qui a tué Hachem Salman. » 
    Un manifestant blessé par les « chemises noires » a lancé pour sa part : « Nous continuerons à dénoncer la participation au combat en Syrie, où l’on envoie nos enfants mourir. »


    L’incident a par ailleurs été stigmatisé par la section estudiantine du Parti national libéral. « Nous demeurerons aux côtés des chiites libres, les chiites des principes nationaux et compagnons de route du président Camille Chamoun », a déclaré le communiqué, rappelant les noms de « Mahmoud Ammar, Kazem el-Khalil, Ali Maoula, pour ne citer que quelques-uns parmi les anciennes grandes personnalités chiites » proches du parti.


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