• Un ciel bleu (Azraq) est-t-il porteur d'espérances?

     

    Voici un article de l'UNHCR relatif à l'ingéniosité des réfugiés syriens dans le nord du désert jordanien, en un lieu dénomé Azraq, c'est à dire bleu azur en arabe. C'est comme un signal d'une utopie des possibles, un accrochement aux idées porteuses d'espoir au milieu d'un trou noir d'affrontements évoquant l'Apocalypse. Merci à l'auteur de l'article

     

    Les inventeurs d'Azraq

    Articles d'actualité, 27 mars 2015

    © HCR/Jessica Chen
    Karim montre l'une de ses créations : un avion miniature fait de mousse isolante.

    Dans le nord de la Jordanie, le désert, aride et rocailleux, pourrait servir de décor à un film de science-fiction. Le seul confort qu'offre ce paysage sans relief et martien aux plus de 14 000 Syriens qui y ont élu domicile est un moyen d'échapper à la violence qui sévit dans leur pays.

    Depuis le début du conflit, il y a quatre ans, quelque 625 000 réfugiés syriens ont fui vers la Jordanie voisine pour leur survie, pris dans l'une des pires crises humanitaires de notre époque. Le camp de réfugiés d'Azraq a ouvert l'année dernière pour faire face à cet afflux de réfugiés. Organisés en rangées innombrables dans le désert, les abris métalliques robustes du camp ont été construits pour durer, symbole d'une crise sans fin en vue.

    Bloqués dans cet environnement désolé, ces réfugiés pourraient facilement abandonner tout espoir. Cependant, en dépit des scènes d'horreur dont ils ont été témoins et des difficultés auxquelles ils sont maintenant confrontés, les personnes que je rencontre s'efforcent d'améliorer leur vie avec les seuls outils dont ils disposent : leurs connaissances et leur détermination.

    Les trois personnes dont je dresse ici le profil incarnent la résilience et la créativité des millions d'exilés syriens. Elles usent de leur ingénuité pour améliorer leur vie et celle des autres. Appelons-les les inventeurs d'Azraq.

    © HCR/Jessica Chen
    Karim, 65 ans, tient dans les airs l'avion miniature qu'il a construit avec des morceaux de mousse isolante.

    Voir vidéo "Jordan: The Syrian Toymaker Grandfather" (en anglais)

    Le fabricant de jouets

    Pendant plus de trois ans, Karim, 65 ans, et sa famille ont attendu la fin du conflit dans leur village près de Homs. Même s'il n'a jamais terminé l'école secondaire, Karim est parvenu à créer, au prix d'un dur labeur, une entreprise de construction florissante; ses enfants et lui avaient une bonne qualité de vie. Ils possédaient des maisons confortables, une grande ferme et plusieurs commerces.

    Toutefois, quand des hommes armés sont venus chez lui et ont menacé de tuer sa famille s'il ne leur remettait pas toutes ses économies, Karim a pris la décision déchirante de tout abandonner derrière lui et de devenir un réfugié. « J'ai quitté la Syrie pour mes enfants; j'ai eu peur qu'ils reviennent et qu'ils nous tuent tous », me dit-il.

    Il décrit le choc que sa famille et lui ont vécu lorsqu'ils sont arrivés au camp et qu'ils ont vu les abris métalliques blancs dans lesquels ils allaient devoir vivre. « Il n'y avait que de la terre partout. Nous avons regardé les abris et nous nous sommes dit : "Qu'est-ce que c'est que ça? Nous conservions nos animaux dans ce genre d'abri. »

    Sans travail et ayant peu à faire sinon manger et dormir, la vie dans le camp était fastidieuse au début. Pour passer le temps, Karim a construit une grande maquette d'avion pour ses petits-enfants avec les seuls matériaux qu'il a pu trouver : des morceaux de mousse isolante, des câbles et de la ficelle.

    Je lui ai demandé ce qui l'avait incité à construire une maquette d'avion. « Je voyageais beaucoup pour mon travail. J'allais en Arabie Saoudite, à Bahreïn, à Dubaï... J'aimais prendre l'avion. Mais la dernière image d'avion que nous avons, c'est quand ils sont venus nous bombarder. J'ai donc construit cet avion pour me rappeler les avions que j'aimais. »

    « Lorsque je vois mes petits-enfants jouer avec les modèles réduits que je fabrique, je suis tout d'un coup très heureux. Mon stress disparaît. »

    Karim a fabriqué d'autres jouets pour les enfants, et il a utilisé ses compétences en construction pour rendre l'abri plus confortable. Des cloisons de style japonais réchauffent l'endroit et donnent un peu d'intimité à ses habitants, et les maigres affaires que possède la famille sont soigneusement rangées dans des placards en carton et des pochettes accrochées aux murs.

    Il a même construit un réfrigérateur avec un système d'évaporation à l'extérieur de l'abri avec du sable, des pierres et un bout de tuyau. « Les aliments conservés à l'intérieur étaient bien frais, mais des enfants du camp ne savaient pas ce que c'était et ils l'ont démonté », se lamente-t-il. Son visage, encadré par le blanc de ses cheveux et de sa barbe, se renfrogne brièvement avant de s'éclairer d'un grand sourire malicieux. Il sait tout de la curiosité des jeunes, lui qui vit avec 18 de ses petits-enfants dans le camp.

    Il aspire à retourner à sa ferme en Syrie et à retrouver les plaisirs simples qu'il a laissés derrière lui. Lorsque je lui demande ce qui lui manque le plus, il raconte que, tous les jours, après s'être levé, il avalait une cuillère de miel récolté dans ses ruches, ou alors il mangeait les raisins doux et foncés qui poussaient dans les vignes. « Quand je suis parti, les raisins commençaient juste à mûrir », dit-il, plein de regrets.

    En dépit de ce sentiment de perte, l'optimisme constant et la bonne humeur de Karim se reflètent dans le visage souriant de ses petits-enfants, qui courent autour de lui en jouant avec l'une de ses créations, une modèle réduit de voiture. Leur plaisir, dit-il, est sa propre récompense. « Rien n'est plus précieux que l'enfant de votre enfant. Lorsque je vois mes petits-enfants jouer avec les modèles réduits que je fabrique, je suis tout d'un coup très heureux. Mon stress disparaît. »

    © HCR/Jessica Chen
    Hassna, 60 ans, met à profit ses connaissances approfondies en botanique pour aider les autres réfugiés grâce à des remèdes à base de plantes. « Je prie juste pour que mes plantes soient toujours là quand je rentrerai. »

    Voir vidéo "Jordan: Syrian Refugee Remedies" (en anglais)

    Remèdes de réfugiés

    En entrant pour la première fois dans l'abri d'Hassna, 60 ans, je suis enveloppé d'arômes merveilleux. Au fond du logis, je trouve une caverne d'Ali Baba d'herbes et de graines aromatiques, soigneusement emballées dans des sachets et rangées dans des bols en plastique.

    Originaire du gouvernorat de Dera'a, au sud de la Syrie, et botaniste qualifiée, Hassna a étudié pendant 33 ans les vertus médicinales des plantes pour différents centres de recherche. Dans le cadre de son travail, elle a parcouru le monde, allant dans de nombreuses conférences scientifiques, et elle a supervisé des banques de graines et des pépinières regorgeant de variétés de plantes rares et utiles.

    Hassna et Farouk, son mari, possédaient des maisons à Dera'a et à Damas. Il y a deux ans, Farouk s'est rendu à la capitale, tandis qu'Hassna est restée à Dera'a, avec l'idée de le rejoindre peu après. Elle ne l'a pas vu et elle ne lui a pas parlé depuis. « Après son départ, les routes ont été bloquées, et les téléphones ont cessé de fonctionner. Des membres de ma famille ont appris qu'il était toujours vivant, mais je n'en sais pas plus. »

    Un an plus tard, lorsque les combats ont commencé à faire rage autour de son village, elle a pris ses affaires et elle s'est rendue seule jusqu'à la frontière jordanienne. Je lui ai demandé ce qu'elle avait emporté avec elle dans sa fuite. « Les choses les plus importantes?. Je n'ai pris aucun vêtement. J'ai apporté 15 livres sur les plantes médicinales, ainsi que mes graines les plus précieuses ».

    Elle pose fièrement par terre autour d'elle, pour me les montrer, les diplômes et les certificats qu'elle a obtenus au cours de sa vie, consacrée à l'étude et à la recherche. Pendant notre conversation, une femme âgée, d'origine syrienne, se présente devant sa porte; elle se plaint de douleur à la poitrine.

    « J'ai apporté 15 livres sur les plantes médicinales, ainsi que mes graines les plus précieuses. »

    Hassna pose quelques questions avant de regagner le fond de l'abri et de se mettre à fouiller dans les livres et les herbes. Elle émerge avec une petite bouteille marron et elle donne à la femme une cuillère de sirop qui sent le miel et le thym, avant de la renvoyer en la grondant gentiment pour qu'elle arrête de fumer.

    Elle revient et elle explique qu'elle a travaillé comme bénévole dans l'un des centres communautaires du camp. Dans le centre, plusieurs femmes lui ont dit qu'elles avaient de l'eczéma en raison du climat chaud et sec du désert; leurs enfants n'étaient pas épargnés non plus.

    « J'ai essayé d'aider les gens avec mes remèdes à base de plantes et mes connaissances », dit-elle. La nouvelle s'est rapidement répandue dans le camp, et elle reçoit désormais chaque jour plusieurs visites de personnes qui lui demandent son aide.

    Son traitement contre l'eczéma est le plus prisé, mais Hassna utilise aussi ses connaissances et un matériel rudimentaire pour créer des crèmes pour la peau, des baumes à lèvres, des masques pour le visage, des tisanes et plusieurs sirops. Peu de résidents du camp ont de l'argent pour la payer mais, parfois, les gens lui donnent des herbes ou d'autres ingrédients utiles en guise de remerciements.

    Elle me dit qu'elle est heureuse de pouvoir aider les gens, car cela donne un sens à sa vie dans le camp. « Lorsque les gens viennent me voir pour que je les aide, je me sens moins inutile. Je veux pouvoir laisser quelque chose derrière moi, une trace de mon passage. »

    Hassna est la preuve vivante de l'efficacité de ses crèmes et de ses lotions. Elle a 60 ans, mais elle fait facilement dix ans de moins. Les seules rides sur son visage sont celles qui apparaissent autour de ses yeux chaque fois qu'elle sourit.

    Son sourire s'estompe lorsqu'elle me montre une vidéo de sa maison de Dera'a que lui a envoyée un voisin. La maison n'est plus qu'un amas de béton fracassé et troué par les balles. Ce n'est pas la destruction de la maison qui la fait pleurer, dit-elle. « Je peux reconstruire la maison mais, dans mon jardin, j'ai planté des graines que j'avais rapportées de mes voyages en Inde, en Italie et en France. Je prie juste pour que mes plantes soient toujours là quand je rentrerai. »

    © HCR/Jessica Chen
    Depuis qu'il a fui la Syrie, Djihad, 52 ans, a construit une lampe éolienne, une souricière, un robinet d'eau courante et plusieurs autres objets utiles pour son foyer et les résidents du camp d'Azraq.

    Voir vidéo "Jordan: The Syrian Mousetrap Inventor" (en anglais)

    La souricière

    Il n'est pas difficile de trouver l'abri de Djihad parmi les milliers de structures identiques du camp d'Azraq. Il suffit de chercher un abri avec une éolienne. Lorsque Jihad et sa famille sont arrivés au camp en juin dernier, ils ont vu qu'il n'y avait pas d'électricité. Plombier et électricien autodidacte de 52 ans, Djihad a pris la situation en main.

    On donne à chaque famille une lanterne à énergie solaire lorsqu'elle arrive mais, même dans le désert, l'énergie solaire a ses limites. « Parfois, il n'y a pas de soleil, donc nous ne pouvons pas charger les lampes. Cela veut dire que nous devons aller au lit tôt. Mais il y a du vent, et le vent peut servir. »

    Avec une dynamo qu'il a dénichée dans un marché local, une barre en bois, quelques feuilles de métal et du fil de téléphone, il a construit une éolienne qui éclaire son abri et les toilettes collectives. Et les seuls outils qu'il avait pour travailler étaient une paire de ciseaux à ongles et des pinces.

    Originaire de Homs, Djihad a quitté la ville assiégée en 2012 pour s'installer, avec sa femme et ses quatre enfants, à Damas, ville relativement sûre. Il y a loué un appartement avec les économies qu'il a accumulées en travaillant pour une compagnie pétrolière en Algérie, mais il n'a pas trouvé d'emploi, et la situation de la famille est devenue intenable. « Nous sommes restés à Damas pendant presque deux ans, mais j'ai dépensé tout ce que j'avais économisé dans ma vie, et nous avons dû partir. »

    À leur arrivée à Azraq, ils ont d'abord été surpris par la désolation, mais l'esprit pratique et positif de Djihad a vite pris le dessus. « Dans la mesure où nous étions en sécurité, je savais que je pouvais améliorer notre situation. J'ai n'ai vu que des possibilités. Ma femme était un peu plus sceptique par contre », ajoute-t-il, sourire en coin.

    « Dans la mesure où nous étions en sécurité, je savais que je pouvais améliorer notre situation. Je n'y ai vu que des avantages. »

    L'inquiétude de la femme de Djihad s'est accrue avec l'arrivée nocturne de souris dans l'abri. Elle a donné un ultimatum à son mari : si elles ne partent pas, c'est moi qui partirai. Djihad m'a montré la souricière qu'il a fabriquée avec du fil de fer et une boîte de conserve. La souricière en question a jusqu'à présent scellé le sort de sept rongeurs malchanceux. Dans le camp, lorsque les voisins de Djihad ont entendu cette histoire, ils lui ont apporté des matériaux et ils lui ont commandé des souricières pour eux.

    Assis dans l'abri, je remarque d'autres créations ingénieuses. Dans la cuisine, un jerrican en plastique est fixé au mur; il est équipé d'un tube de colle vide qui sert de robinet d'eau. Les mocassins bien ajustés que porte Djihad a l'intérieur ont été cousus à partir de couvertures non utilisées, et un blouson assorti est accroché au mur.

    En dépit de son attitude calme et effacée, Djihad a sereinement confiance en sa capacité à prendre soin de sa famille et ce, même dans la situation actuelle. « Tant que nous aurons une stabilité et que nous serons en sécurité, je sais que je peux m'occuper d'eux. Cela ne me pose aucun problème de vivre ici jusqu'à la fin de mes jours. »

    Avant de partir, je demande à Djihad quelle est la chose qu'il aurait aimé pouvoir prendre avec lui, m'attendant plus ou moins à ce qu'il me réponde un outil utile quelconque allant de pair avec son esprit pratique. Je me trompais royalement. « J'aimerais avoir les photos de mon mariage et les photos de mes enfants », dit-il. « Les objets matériels ne sont pas importants, ce sont les souvenirs qui comptent. »

    Né sur la côte sud de l'Angleterre, Charlie Dunmore a travaillé comme correspondant politique à Bruxelles pendant plus de dix ans, dont quatre à l'agence Reuters, où il était affecté à la couverture de la politique humanitaire de l'UE et à d'autres questions. Il travaille maintenant pour le HCR, rédigeant des articles qui soulignent l'impact humain de la crise en Syrie. Il est basé en Jordanie, mais il réalise des reportages dans toute la région.

     

    source UNHCR:  http://www.unhcr.fr/551946849.html

    « 2014, année la plus meurtrière du conflit syrien - rapport d'Human Rights WatchPas de répit pour les civils, la boucherie continue! »

    Tags Tags : , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :